Pour le directeur général de Retraites Populaires, les institutions de prévoyance ont un rôle essentiel à jouer dans la transition écologique. Mais pour l’heure, ce sportif passionné doit faire face aux défis immédiats de la crise du coronavirus
Philippe Doffey, Directeur général
Le Temps du 25 mars 2020, par Alain Jeannet
De son congé sabbatique récent, Philippe Doffey tire deux leçons. D’abord, son équipe de direction a parfaitement fonctionné sans lui. «J’ai joué le jeu à fond. Pas d’e-mail, le téléphone pour les urgences uniquement. Une expérience concluante pour moi comme pour mes collaborateurs», résume-t-il. Le patron de Retraites Populaires ajoute (et c’est la deuxième leçon): «J’ai beaucoup apprécié cette parenthèse, j’ai aussi pris conscience que je n’étais pas prêt pour la retraite, mais alors pas du tout!»
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Ces deux mois de liberté, auxquels les salariés de Retraites Populaires ont droit après quinze ans d’entreprise, il les a consacrés à sa famille et à sa passion du sport. En Afrique du Sud, où il est parti en vacances avec sa femme et l’un de ses enfants, le presque sexagénaire a fait son 30e marathon, celui du Cap, qu’il a conclu en 3h48. «Pour garder un bon équilibre, explique-t-il, j’ai besoin de faire du sport chaque jour.»
Ces prochains temps, il en aura bien besoin. La crise du coronavirus touche Retraites Populaires et ses 360 employés. «Le télétravail généralisé a été instauré au début de la semaine dernière. Les activités opérationnelles et de conduite se déroulent de manière très satisfaisante grâce à l’engage-ment exemplaire de l’ensemble des employés. Le maintien d’un contact quotidien avec tous nos collaborateurs reste essentiel.»
La prévoyance forcée de s’adapter
Les combats immédiats s’ajoutent aux défis plus fondamentaux rencontrés par les systèmes de retraites. On connaît l’équation: la population vieillit, les rendements des caisses baissent, la société change en profondeur. Qu’on le veuille ou non, il faudra travailler plus longtemps. Les institutions de prévoyance devront viser une plus grande efficacité et faire évoluer les métiers du domaine, numérisation oblige. «Le but, explique le patron de Retraites Populaires, c’est de réussir à répondre aux besoins de tous les segments de la population.» Les temps partiels augmentent, les interruptions et les changements de carrière deviennent la règle, le travail en indépendant gagne du terrain. Et le modèle de la famille traditionnelle appartient au passé.
Son propre parcours aurait pu être complètement différent, raconte-t-il. Grand-père restaurateur, d’origine fribourgeoise, parents actifs dans la distribution alimentaire, Philippe Doffey suit l’école de commerce avant des études en HEC à l’Université de Lausanne, menées tambour battant. Ce qui lui vaut une bourse de deux ans à Seattle, aux Etats-Unis. A l’époque, une PME appelée Microsoft prend son envol et embauche à tour de bras. Son master en poche, il passe un entretien avec les recruteurs de Bill Gates.
Il choisit pourtant de rentrer en Suisse. «Ma future femme et moi-même n’étions pas tentés par le mode de vie américain. Microsoft, ça aurait bien sûr tout changé. Pas forcément pour le meilleur, on ne sait pas.» Léger vertige.
A la BCV, qu’il rejoint bientôt, il s’occupe du déploiement de l’informatique personnelle. Il participe ensuite au développement d’Unicible, l’entreprise créée par les banques cantonales pour développer une plateforme informatique commune. Une belle aventure qui se termine sur une déception. Le conseil d’administration mettra fin aux efforts de cette nouvelle société pour commercialiser ses produits à l’étranger. «J’ai compris alors l’importance de l’alignement stratégique entre le conseil d’administration et la direction générale.» A Retraites Populaires, où il entre en 1998, il occupe différentes fonctions avant d’en prendre la direction générale. Il s’engage aussi dans la Fondation Ethos, créée par Dominique Biedermann. «Une personnalité visionnaire. Il y a quinze ou vingt ans, ce qui comptait avant tout pour les caisses, c’était le rendement. Le concept d’investissement socialement responsable restait théorique, contrairement à aujourd’hui.»
Son entreprise possède, c’est certain, de puissants leviers pour accélérer la transition écologique et Philippe Doffey œuvre à les utiliser au mieux. Deux cent mille assurés en nom propre et au travers de caisses gérées pour des tiers, quelque 24 milliards de francs sous gestion, l’entreprise est un acteur économique de poids dans le canton de Vaud. «Notre priorité consiste à garantir les rentes, mais aussi à viser le bien de la société dans laquelle nous sommes ancrés.» Notamment par le biais de ses investissements immobiliers et d’une politique de rénovation en pointe: «Comme propriétaire de 600 immeubles, nous favorisons l’efficacité énergétique et donc une forte diminution des émissions de CO2.» Avec pour objectif d’offrir à la population des logements abordables et de qualité.
«Le radicalisme vaudois a permis la création de plusieurs institutions de droit public qui fondent un capitalisme social plus que jamais d’actualité», constate Philippe Doffey. Outre Retraites Populaires, il cite Romande Energie, Vaudoise Assurances, la BCV, qui fête cette année son 175e anniversaire. Et de souligner les vertus de l’esprit mutualiste quand il va de pair avec la compétitivité: «Comme d’autres, le domaine de la prévoyance demeure très concurrentiel, précise-t-il. Sa trans-formation ne fait que commencer.»
«OK boomer !», Philippe Doffey s’amuse de l’expression, mais souligne dans la foulée que les seniors ont beaucoup à apporter. «On crée quantité de prix pour les jeunes entrepreneurs. Pourquoi ne pas lancer une distinction pour les seniors? Un nombre croissant de plus de 65 ans repart pour un tour et fait preuve d’un sacré esprit d’entreprise.» Avec une pointe d’ironie: «Regardez Joe Biden. A 77 ans, il semble avoir encore du potentiel!»