Depuis le début de l’année, Eric Niederhauser dirige Retraites Populaires. S’il espère que la révision de la loi sur la prévoyance professionnelle sera acceptée en septembre, il juge que le système suisse des retraites tiendra quoi qu’il en soit.
Le Temps du 28 avril 2024
Alexandre Beuchat, Aline Bassin
A quelques mois d’une votation de tous les dangers sur la réforme de la prévoyance professionnelle, on pourrait s’attendre à rencontrer un homme inquiet. Il n’en est rien. Eric Niederhauser, serein, nous accueille dans son spacieux bureau du bâtiment de Retraites Populaires qui offre une vision à 180 degrés sur Lausanne, avec la cathédrale trônant en arrière-plan.
Cet actuaire de 49 ans a pris en janvier la tête de l’institution de droit publique. Après la terrible année 2022 sur les marchés financiers et à l’instar de la majorité des autres caisses de pension suisse, Retraites Populaires, un acteur important de l’immobilier et de la prévoyance professionnelle a pu redresser la barre l’an dernier. Ses placements ont dégagé un rendement de 4,3%. Une participation aux excédents à hauteur de 32 millions de francs a pu être versée aux personnes assurées, ainsi qu’une allocation unique totale de 3,5 millions aux bénéficiaires du 2e pilier. Quelque 118 000 personnes sont affiliées à l’entreprise mise sur les fonts baptismaux en 1912.
A la suite de l’aboutissement du référendum déposé par la gauche en 2023, les citoyens suisses retourneront aux urnes en septembre pour voter sur la révision de la loi sur la prévoyance professionnelle, une perspective qui suscite beaucoup de fébrilité dans le milieu des caisses de pension.
Le Temps: Craignez-vous que la réforme de la LPP ne passe pas la rampe en votation populaire?
Eric Niederhauser: A l’exception de la votation sur l’AVS en 2022, toutes les tentatives de réformes du système des retraites ont échoué ces vingt dernières années. Le doute est donc permis, d’autant plus que comme pour l’initiative sur une 13ème rente AVS, les véritables enjeux qui se cachent derrière les aspects techniques du dossier sont difficiles à comprendre. Des raccourcis sont faits et ils orientent l’opinion des citoyens qui votent avec ce qu’ils croient être plus avantageux pour leur pouvoir d’achat dans l’immédiat.
Avec la baisse du taux de conversion de 6,8 à 6,0%, la réforme va effectivement appauvrir les futurs retraités, non?
C'est partiellement faux. Ce qui est souvent mal compris, c'est que la révision de la LPP fixe les minima légaux. Selon les estimations, environ 15% des assurés sont couverts par cette prestation minimale et, donc, concernés par la révision. Et leur caisse a déjà dû prendre des mesures en compensant l’application d’un taux de conversion trop élevé par des cotisations plus élevées ou des intérêts versés plus faible. Le reste des assurés sont affiliés à des caisses de pension qui vont au-delà du minimum légal et qui pratique déjà un taux de conversion inférieur à 6%. Ils ne seront pas ou peu touchés.
Actuellement, peu de caisses sont dans une situation dramatique. La majeure partie d’entre elles ont trouvé des solutions pour financer les prestations liées à des taux de conversion trop élevés: ce sont les actifs qui en paient le prix. Quelque part, le déficit de financement auquel la révision veut répondre se trouve déjà dans ces compensations. Sauf que la réforme amènerait davantage de transparence sur ces transferts entre actifs et retraités ce qui me paraît plus cohérent.
Si elle ne passe pas, quelle est la menace? Des caisses qui ne pourront plus assurer leurs prestations dans les années à venir?
Selon moi, un échec de la réforme ne va pas mettre le système en péril. Ces deux dernières décennies, la prévoyance professionnelle a toujours réussi à s’adapter et à trouver des ajustements.
Le système est-il soutenable sur le long terme avec le vieillissement de la population?
Je suis un grand défenseur du système suisse avec ses trois piliers et je pense qu'il fait ses preuves. Actuellement, il y a en effet un débat sur la répartition entre ces piliers, ainsi que sur le déséquilibre croissant entre retraités et actifs. La principale conséquence pour le deuxième pilier, c’est qu’il est davantage dépendant du rendement des capitaux, des revenus de ce “tiers cotisant”. L’AVS et le deuxième pilier permettent justement de garder un certain équilibre. Et il ne faut pas oublier le troisième pilier composé de l’épargne individuelle. C’est évidemment plus compliqué pour les bas revenus qui rencontrent déjà des difficultés pour s’assurer une bonne couverture sur les deux premiers piliers. C’est là que le régime social doit intervenir en dernier recours, avec notamment les prestations complémentaires.
Pendant la campagne sur l’initiative pour une 13ème rente AVS, la gauche a justement dénoncé les intérêts financiers liés au 3ème pilier, un marché très lucratif pour les acteurs financiers. Que répondez-vous à cette critique?
Il y a peut-être du lobbying… D’un autre côté, la prévoyance doit se préparer sur le long terme. Il faut pouvoir accumuler un peu de capital, puis pouvoir en bénéficier afin d’avoir des moyens suffisants à la retraite. Par rapport à cette initiative, ce que je constate aussi, c’est qu’on accepte une 13ème rente et qu’on se pose la question après de savoir comment la financer.
Parlons justement du financement, mais de celui du 2ème pilier. Avec l’arrivée des boomers à la retraite, à quel point la pression financière s’accroît-elle sur les caisses de pension?
Selon moi, la fortune des caisses de pension va continuer de croître. Pour une partie d’entre elles, le différentiel entre les cotisations qui rentrent et les prestations qui sortent sous forme de rente est proche de l’équilibre, voire légèrement négatif. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que sur toute l’épargne déposée, il y a du rendement dégagé qui compense largement les écarts.
Mais est-ce que cela va suffire?
Je n’ai évidemment pas de boule de cristal et aujourd’hui, personne n’a la capacité de faire des projections. Pendant toute une période, tout le monde pensait que les taux allaient rester bas comme au Japon et tout à coup, en six mois, ils sont repartis à la hausse. Ce dont je suis convaincu, par contre, c’est que ce troisième cotisant va rester une source de financement importante. Il est toutefois difficile d’effectuer des pronostics, à savoir, est-ce qu’il va dégager du 3%, 3,5% ou 2,5% de rendement. Ce qui est par contre important, c’est d’ajuster régulièrement les paramètres techniques en fonction de l’évolution des perspectives.
Mais une année comme 2022 peut-elle se rattraper facilement?
Si on prend Retraites Populaires, aujourd’hui, pour servir nos engagements, nous avons besoin d’un rendement de l’ordre de 1,5%. Avec les perspectives que nous avons sur notre allocation d’actifs, nous nous attendons à avoir à peu près 2,9% de rendement sur un horizon de 5 à 10 ans. Donc tendanciellement, nous restons positifs sur le long terme. Mais il est clair qu’il y a désormais beaucoup plus de variabilité que dans le passé, soit de très bonnes années et des très mauvaises. Après, lorsqu’on se livre à ce type de moyennes, il faut faire attention à l’horizon de temps que l’on prend. Plus il est long, plus on fait abstraction de ces fluctuations. Mais sur le long terme, cela reste quand même positif. Si on prend la traduction dans nos indices de mesure, c’est l’évolution du degré de couverture qui indique la fortune à disposition rapportée aux engagements. Ces quinze dernières années, tendanciellement, on a vu une tendance à la croissance, avec, bien sûr, ces variations assez fortes.
Cela nous amène à votre stratégie d’investissement. Le spectre s’est beaucoup élargi ces dernières années, avec notamment l’essor du private equity, l’investissement privé, est-ce que Retraites Populaires a adapté sa stratégie?
Nous avons depuis longtemps une politique très diversifiée, au-delà des actions, obligations et de l’immobilier. Ces trois types d’actifs représentent une grande partie de notre allocation, respectivement environ 20%, 33% et 25% mais nous sommes partis très tôt dans la constitution d’un portefeuille privé. A un moment, nous avons fait des placements alternatifs avant de revenir en arrière car les promesses n’étaient pas à la hauteur de nos attentes. Dans le private equity, il y a en revanche effectivement des rendements intéressants qui peuvent être générés.
Dans ce type d’investissement, la palette est large. Quels sont les actifs attractifs?
Nous ne faisons pas d’investissements directs. Nos équipes font de la sélection de gérants pour toutes nos classes d’actifs. Ce sont eux ensuite qui opèrent les choix. Comme je l’ai dit, nous avons commencé très tôt et les premiers résultats étaient excellents. Ensuite, il y a eu de plus en de fonds parce c’est devenu très à la mode. Et les gérants ont plus de difficultés à trouver des placements très attractifs. D’où l’importance de sélectionner les bons gérants. Nous nous sommes toutefois lancés plus tard - il y a environ 5 ans - dans les fonds dédiés aux infrastructures. Tout comme dans les placements privés, c’est un domaine très particulier car ce n’est pas comme une action pour laquelle vous passez un ordre et c’est réglé. Dans ce cas-là, vous prenez des engagements et devez ensuite attendre que les appels de fonds soient faits pour que le projet se réalise. Ce sont donc des portefeuilles qui se déploient très progressivement.
Une critique qui revient souvent, c’est que les caisses de pension ne soutiennent pas assez la relève entrepreneuriale du pays, les start-up. Que répondez-vous?
Là aussi, nous sommes actifs, en investissant dans des fonds, comme par exemple Renaissance PME. Nous recherchons des opportunités, mais le principal obstacle, c’est que le marché suisse est petit.
Aux Etats-Unis, des caisses de pension se montrent plus audacieuses et génèrent parfois des rendements beaucoup plus élevés. N’est-on pas trop frileux en Suisse?
Je trouve que le cadre suisse reste correct, c'est-à-dire que les caisses de pension ont la possibilité de faire beaucoup de choses. Mais quand vous allez dans cette classe d’actifs, il faut que vous ayez les compétences pour bien la comprendre. C’est facile d’investir mais cela reste des actifs risqués et il peut y avoir des désillusions.
A l’autre extrémité du spectre, il y a l’immobilier. Quelles sont vos ambitions dans ce secteur?
Il représente 25% de notre portefeuille et reste un axe d’investissement prioritaire de nos fonds. Pour maintenir cette proportion dans un portefeuille en croissance, nous passons par trois canaux: l’acquisition d’objets, le développement de projets et la rénovation pour valoriser notre parc. Le deuxième canal est exigeant car il y a une ambiguïté entre les besoins et la volonté d'intensifier l'utilisation du sol et l’acceptation des projets dans la population. Avec comme corollaire, des loyers qui restent élevés et le marché qui est asséché. Ce sont des possibilités de placement en moins.
Quand il y a des rénovations énergétiques, nous profitons aussi de l’occasion pour voir s’il y a des possibilités d’augmenter les constructions, par exemple en surélevant les bâtiments, en utilisant des superficies qui sont exploitables. Pour l’acquisition, nous constatons qu’il y a des acteurs qui n’ont pas les moyens d’effectuer les rénovations et qui mettent les objets en vente. Ce sont des objets qui peuvent être intéressants pour les caisses de pension pour autant que le marché prenne en compte ces besoins.
Il y a actuellement aussi un débat autour des déséquilibres qui existent entre les générations, notamment parce que, pour les personnes âgées, emménager dans un logement plus petit revient trop cher. Comment vous positionnez-vous?
L’année dernière, nous avons lancé un projet qui s’appelle “Bien vivre sa retraite” et qui couvre plusieurs axes par rapport au vieillissement de la population. L’un d’entre eux est immobilier avec deux volets : l’adaptation des appartements aux seniors et la réalisation de logements adaptés à leurs besoins. Nous avons une réelle volonté de maintenir les personnes chez elle afin de favoriser leur autonomie et retarder l’entrée en établissement médico-social (EMS). La possibilité de les rediriger si possible vers des appartements plus petits fait également partie des pistes que nous examinons. Ce que nous constatons toutefois dans notre parc, c’est qu’il y a une part de mythe. Il n’y a pas tant de gens que ça qui habitent dans des grands appartements. Chez nous, 75% des seniors vivent dans des un à trois pièces, nous permettant, dès lors, d’aménager directement leur logement à leurs besoins ainsi qu’améliorer leur confort et sécurité.