Refus de la réforme LPP: et maintenant?

Les votations à propos de la réforme LPP ont abouti à un non massif. Eric Niederhauser, Directeur général de Retraites Populaires, revient sur les débats agités qui se sont tenus autour de cette problématique et les conséquences de ce refus.

Le Temps
Propos recueillis par Thomas Pfefferlé

Le 22 septembre dernier, le peuple suisse se prononçait sur le projet de réforme de la prévoyance professionnelle. Au final, le vote s’est soldé par un refus massif, avec plus de 67 % de non sur les 45 % de la population helvétique s’étant rendus aux urnes. Un refus unanime dans l’ensemble des cantons puisque le texte n’a été accepté dans aucun d’entre eux.

Pour rappel, le paquet prévu par les autorités se basait sur cinq mesures. Objectif principal: pérenniser la sécurisation du financement du deuxième pilier face aux défis démographiques et économiques qui pèsent sur l’équilibre du système. La mesure principale du projet consistait à abaisser le taux de conversion - soit la part du capital vieillesse épargné versée par les caisses de pension chaque année - de 6,8 à 6 %. Pour pallier la diminution des futures rentes, le Conseil fédéral et le Parlement avaient prévu un paquet de mesures compensatoires. Parmi les autres objectifs avancés par les porteurs du projet, on doit aussi rappeler celui d’étendre la couverture de la prévoyance professionnelle aux bas salaires et aux temps partiels. Pour y parvenir, l’idée reposait entre autres sur l’abaissement du seuil d’entrée, mesure pensée pour pouvoir intégrer une caisse de pension dès 19’845 francs de revenu annuel, contre les 22’050 francs en vigueur actuellement. Un levier qui, s’il avait été activé, aurait permis de compter 70’000 personnes supplémentaires assurées au deuxième pilier.

Pour analyser les enjeux de ce refus et revenir sur le climat dans lequel se sont déroulés les débats autour de cette refonte, le Directeur général de Retraites Populaires Eric Niederhauser répond à nos questions.

Le Temps: Quel est votre sentiment général quant à ce refus de la réforme?

Eric Niederhauser: Plus que le refus en lui-même, auquel on était en droit de s’attendre en considérant les sondages réalisés au préalable, c’est plutôt la proportion massive du non qui me surprend. Je reste également partagé, pour ne pas dire déçu, du climat dans lequel se sont déroulés les débats autour de ce projet de réforme. Comme beaucoup d’autres, j’ai pu constater que la majorité des gens ne comprenaient plus rien aux discussions et aux échanges menés sur le sujet, et cela en raison des nombreux amalgames qui ont semé une grande confusion au sein de la population. Je pense que le débat a été pollué, par exemple sur des aspects anecdotiques et hors sujet comme l’invocation des frais de gestion des placements liés à la prévoyance professionnelle. À ceci s’ajoute également une guerre des chiffres qui a ajouté de la confusion.

Avec ce non, qui sont les grands perdants de ces votations et quelles sont les conséquences auxquelles ils doivent faire face?

Les personnes travaillant à temps partiels et celles touchant des bas salaires sont les principales à être écartées, ou du moins maintenues hors du système de prévoyance actuellement en vigueur. Pour cette tranche de la population, il va lui falloir se montrer particulièrement proactive et informée quant aux enjeux et aux solutions de sa prévoyance. Ce qui se joue d’une part sur un positionnement d’anticipation et d’actions prises à titre individuel, comme la constitution d’un troisième pilier par exemple, sans pour autant relâcher la pression quant aux spécificités qui encadrent la LPP.

Suite au refus, le sujet de la refonte de la LPP risque dattendre plusieurs années avant de revenir en votations. Est-ce que le deuxième pilier est en danger?

Non, je ne crois pas qu’on puisse le dire en danger. Seulement, les caisses de pension vont devoir continuer à s’adapter, en déployant des solutions pour pallier le refus de la baisse du taux de conversion. Les caisses ont déjà pu démontrer qu’elles étaient capables de s’adapter. En somme, tout est une question d’équilibre. Celui de la LPP repose sur deux sources d’approvisionnement, c’est-à-dire les cotisations et les rendements générés par les placements. Côté sortie, ce sont les prestations de retraite fournies. Si ces dernières sont plus élevées, il faudra augmenter les cotisations ou opter pour une nouvelle stratégie plus risquée en termes de placements. Le taux d’intérêt minimum fixé par le Conseil fédéral peut aussi être une variable d’ajustement.

Comment ce non impacte-t-il les acteurs économiques et quelles sont les responsabilités dun employeur au niveau du plan de prévoyance?

Les entreprises ont un rôle de responsabilité sociale à jouer. Si le cadre légal prévoit déjà des plans minimums en matière de prévoyance, il s’agit de les inciter le plus possible à souscrire à des plans plus performants. Outre l’intérêt sociétal de la démarche, il s’agit aussi pour eux de pouvoir tabler sur des atouts supplémentaires au salaire en tant qu’employeur. Ce qui s’avère particulièrement pertinent dans le contexte de pénurie de main d’œuvre qualifiée qui caractérise actuellement le marché de l’emploi. Proposer un plan de prévoyance attractif va devenir un argument de plus en plus prédominant en matière de rétention et d’embauche de talents.

Cette impulsion doit-elle aussi provenir de la part des assurés?

Bien sûr. Dans ce sens, on ne peut qu’encourager les employés à adopter un positionnement proactif dans l’optique de connaître le plan de prévoyance de leur employeur. On a tendance à le considérer comme étant un aspect figé dans le contrat de collaboration. Hors ce n’est pas le cas. Les organes paritaires prévus par le cadre légal doivent précisément servir à cela au sein des entreprises.

Dans les faits, ce débat semble cependant inexistant.

Et c’est bien dommage. Car ces échanges au sein des entreprises sont tout à fait légitimes. Le problème repose en partie sur le peu, voire l’absence, d’informations et de connaissances sur le sujet dont disposent les personnes concernées. Souvent, les délégués représentant le personnel ne sont en effet pas en mesure de comprendre tous les rouages et les leviers d’action qui caractérisent le fonctionnement du système de prévoyance professionnelle. Il faudrait pouvoir y remédier, d’autant plus que les employés bénéficient d’un effet de levier important. Car si le volet incitatif auprès des employeurs reste important, celui de l’information et de la proactivité des employés l’est tout autant. Dans ce sens, il faut évidemment commencer par s’informer pour comprendre un plan de prévoyance et ensuite pouvoir « challenger » l’employeur. Il en va de la responsabilité individuelle de tout un chacun.