Le marché immobilier est en pleine ébullition. La tendance haussière observée en 2021 s’est confirmée en début d’année. Dans le segment des villas, presque tous les cantons romands connaissent des hausses de prix.
Le Temps, 7 juin 2022
Philippe Doffey, Directeur général

Celles-ci vont de 1% à 3.5% selon les régions, d’après le cabinet d’estimation immobilière Wuest & Partner. Cette croissance risque toutefois de connaître un fort ralentissement dans les mois à venir, à cause du retour de l’inflation en Suisse et de l’augmentation des taux hypothécaires.
La hausse de l’inflation entraîne une envolée des taux hypothécaires longs. En l’espace de peu de temps, les taux fixes des prêts hypothécaires sur dix sans sont passés de 1 à 2.5%. Une première depuis l’instauration des taux négatifs en 2014. Et l’impact se mesure directement auprès des propriétaires ou des futurs acquéreurs. Prenons l’exemple d’un bien immobilier valorisé à un million de francs. En obtenant un prêt hypothécaire de 800'000 francs sur la base d’un taux d’intérêt fixe à dix ans, proche de 1%, il faudra rembourser 8000 francs de plus chaque année par rapport à décembre dernier.
En comparaison aux autres décennies, ces taux hypothécaires restent toutefois encore bas. Il suffit de se souvenir du taux variable des années 1990 qui s’affichait à 8%. De plus, la hausse des taux concerne uniquement le remboursement sur dix ans. Les taux courts ont enregistré une faible évolution durant la dernière décennie. En menant une analyse comparative, on observe aussi une différence au niveau du taux de vacance des logements entre les régions. Aujourd’hui, le nombre d’habitations vacantes est relativement bas et ce, dans la plupart des régions. A la fin des années 1970, la situation était toute autre, y compris dans des régions attractives. En effet, six districts du canton de Vaud affichaient des taux de vacances supérieure à la moyenne en 1976, par exemple : Morges, Grandson, Nyon, Payerne, Oron et surtout en Lavaux avec un taux de logements vacants à 6%.
Néanmoins, faut-il craindre une hausse massive des prix dans l’immobilier ? La demande pour la pierre reste très élevée en Suisse, tant du point de vue des particuliers que des investisseurs institutionnels. Les risques de fortes baisses sont limités. Cependant, le marché immobilier cherche à se réinventer avec plus ou moins de bonheur afin de maintenir l’accès à la propriété possible, spécialement pour la classe moyenne. Récemment, la plateforme en ligne QoQa a mis à l’honneur le droit de superficie (ou droit distinct et permanent DDP) avec une première vente d’habitations à Remaufens (FR) et Pully (VD) avec des rabais proches de 40%, par rapport à une acquisition en pleine propriété. Or, présentées sous forme de rabais, ces réductions se profilent davantage comme des paiements différés. L’acquéreur « économise » de l’argent sur la valeur du foncier, mais se retrouve à payer la location du terrain, en complément du remboursement de son prêt hypothécaire. Le maintien de la valeur de l’investissement reste ouvert alors que l’échéance du droit de superficie approche. Cette manière de constituer des « fonds propres » est certainement discutable.
Autre alternative : la Banque Migros va proposer des prêts (contre un intérêt annuel d’environ 5%) pour réunir les fonds propres qui manqueraient en vue de l’acquisition d’un bien immobilier. Seule condition : disposer déjà de 10% de fonds propres sous forme de cash, titres ou troisième pilier, entre autres. A se demander si cette solution n’arrive pas un peu tardivement sur le marché alors que les taux hypothécaires augmentent.
Qu’en est-il de l’attrait de l’immobilier pour les fonds de placements et les caisses de pensions ? Du point de vue des fonds de placement et des fondations immobilières, le marché va devenir moins attractif. Essentiellement à cause de l’augmentation des taux qui rende l’effet de levier moins attractif. Pour les caisses de pensions, les enjeux sont différents. Même en affichant une possible diminution de valeur, le marché restera attractif puisqu’elles investissent avec des capitaux propres. Les caisses de pensions continueront à investir une part de leurs nouveaux avoirs dans le marché de la pierre. Par contre, la diversification avec d’autres classes d’actifs restera de mise. Après les fortes baisses des marchés obligataires et des actions depuis le début de l’année, ces actifs resteront au cœur de la stratégie de placement des caisses de pensions. Les nouvelles perspectives offertes par une possible augmentation des rendements dans l’immobilier permettront de maintenir la position de l’immobilier dans l’allocation des actifs. Une baisse marquée des prix n’est pas à l’ordre du jour. Seule la poursuite d’une hausse massive de l’inflation et des taux hypothécaires pourraient changer la donne.