Le Temps
Philippe Doffey
Directeur à Retraites Populaires
La mutation de notre société secoue le prototype de la famille traditionnelle composée d’un père, d’une mère et de leurs deux enfants. En Suisse, la proportion de naissances hors mariage est en hausse: de 3,8% en 1970, elle caresse la barre des 20% en 2011. Les enfants nés d’une mère divorcée ne représentaient que 0,2% du total des naissances il y a 30 ans: ils sont désormais 2,7%, soit près de quatorze fois plus. Ces chiffres n’ont rien de surprenant lorsqu’on constate qu’un mariage sur deux se termine par un divorce. Souvent, de nouveaux couples se forment, accompagnés d’enfants nés d’une première union: des familles dites "recomposées".
Le décès d’un des parents a toujours un impact sur le patrimoine familial, du point de vue matrimonial et successoral. Qu’en est-il dans une famille recomposée? Prenons l’exemple d’un nouveau couple vivant en concubinage et en ménage commun avec les deux enfants de Madame, issus d’une précédente union, ainsi que la fille unique de Monsieur, également née d’un premier mariage. En cas de décès d’un des deux partenaires, la loi ne reconnaît aucun droit de succession réciproque. Madame a pour héritiers légaux ses enfants: en l’absence de testament, ils touchent chacun la moitié des biens. Même chose pour Monsieur, dont la fille hérite la totalité.
Pour rendre son concubin bénéficiaire d’une succession en cas de décès, il faut rédiger un testament. Selon le Code civil, les enfants ont droit au minimum aux trois quarts des biens (ils sont dits "héritiers réservataires", ce qui signifie qu’on ne peut les priver d’une certaine part de la succession). Le concubin n’étant pas considéré comme un parent, l’imposition sur les successions peut, en fonction du lieu de résidence, se révéler très lourde. Certains cantons tolèrent un seuil exonéré d’impôt: 500 francs à Genève, 5000 francs à Fribourg, 10'000 francs dans les cantons de Jura, Neuchâtel et Valais, voire 12'000 francs à Berne. Seul le canton de Schwyz permet d’échapper totalement à la taxation. Quant à la situation dans le canton de Vaud, le montant exonéré est de zéro.
Qu’en est-il en termes de prévoyance? Dans le cadre du 1er pilier, il n’y a pas de rente de veuf ou de veuve pour un concubin. Une femme mariée dont l’époux décède reçoit une telle rente si elle a un ou plusieurs enfants à ce moment-là. Ceci est aussi valable lorsqu’il s’agit d’enfants du conjoint décédé qui font ménage commun avec elle et qui ont droit à une prestation d’orphelin. D’un autre côté, la rente de veuve est également attribuée si la femme a 45 ans révolus au moment du décès et qu’elle a été mariée pendant 5 ans au moins. Concernant l’homme, il touche une rente de veuf aussi longtemps qu’il a des enfants de moins de 18 ans. Ceci nous invite d’ailleurs à nous demander s’il ne faudrait pas songer à trouver une solution pour traiter les deux sexes de la même manière.
En matière de 2e pilier et selon la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP), le survivant a droit à une rente si, au décès de son conjoint, il remplit l’une ou l’autre des conditions suivantes: il a au moins un enfant à charge ou il a 45 ans et cinq ans de mariage. Cependant, le plan de prévoyance peut prévoir l’attribution d’une rente de conjoint survivant à des conditions élargies, voire même au concubin. Il est donc important de consulter le règlement de sa caisse de pension.
Parfois, le concubin d’un assuré actif ou pensionné qui décède a droit à une prestation s’il remplit les mêmes critères que le conjoint ou le partenaire enregistré survivant. Il doit prouver, suivant les institutions, qu’aucun lien de parenté n’existe entre eux à un degré interdisant le mariage ou que l’assuré apporte au concubin un soutien substantiel, par exemple. Il arrive également que la caisse exige d’avoir été informée du concubinage par l’assuré ou le pensionné avant son décès. Là aussi, il est primordial de prendre connaissance du règlement de l’institution de prévoyance.
Le 3e pilier offre davantage de liberté. Il existe de nombreuses formes d’assurance pour protéger ses proches en cas de coup dur. C’est la clause bénéficiaire qui détermine la ou les personnes qui vont recevoir le montant au moment du décès, avec certes des différences entre la prévoyance individuelle liée (3e pilier A) et la prévoyance individuelle libre (3e pilier B). Mais attention: la prestation d’une assurance vie ne fait pas partie de la succession. Elle est directement attribuée au bénéficiaire, par exemple le concubin. Les héritiers réservataires découvrant son existence peuvent toutefois en réclamer une part s’ils estiment qu’elle lèse leurs droits (on appelle cela une "action en réduction").
Ces aspects génèrent nombre d’inquiétudes au sein de la population, soulevées lors d’entretiens individuels ou conférences publiques organisées par les spécialistes en prévoyance. Retraites Populaires a pu le constater encore récemment, lors de son cycle annuel de séances d’information dans le canton de Vaud. La réponse est parfois difficile à vulgariser dans l’immédiat. Chaque cas étant unique, surtout dans les familles recomposées, il existe une grande variété de configurations, avec autant de solutions possibles.
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