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Illustation / Photographie article Bella vita

Société

Des moules à rendre gaga

avr 2025 - 5 minutes

Originaire de la mer Noire, la moule quagga envahit les lacs suisses à vitesse grand V. Tenace et invasive, elle perturbe l’écosystème et engendre des coûts élevés pour les collectivités. Par chance, des solutions innovantes émergent pour freiner sa propagation.

Arrivée aux États-Unis dès la fin des années 1980, la moule quagga a conquis les grands lacs nord-américains avant d’envahir presque tous les lacs suisses. Originaire du fleuve Dniepr, en Ukraine, elle s’est propagée via les eaux de ballast des navires et les coques de bateaux, où ses larves et spécimens adultes ont voyagé.
De son nom scientifique Dreissena, qui signifie «aux multiples formes», cette moule non comestible s’adapte à tous les environnements. Elle est capable de vivre jusqu’à 250 mètres de profondeur et de s’accrocher aux fonds meubles comme le sable. Une seule femelle peut même pondre jusqu’à un million d’œufs par an. Résultat: elle supplante et remplace sa cousine, la moule zébrée, déjà bien implantée.


Un fléau écologique et économique
Vorace, la moule quagga se nourrit de phytoplancton, perturbant toute la chaîne alimentaire des lacs. Elle s’infiltre partout, obstruant les canalisations et les systèmes de filtration d’eau, générant ainsi des coûts considérables pour les collectivités. À ce rythme, sa population pourrait être multipliée par 9 à 20 d’ici vingt ans. Les experts sont formels: il est impossible d’éradiquer la moule quagga. La seule option est d’agir dès maintenant pour limiter sa prolifération. Mais comment?


Des solutions émergent
Les mesures préventives se multiplient: entretien rigoureux des bateaux, réflexion sur des systèmes de filtration adaptés à Bienne et Zurich… Mais une initiative retient particulièrement l’attention des spécialistes.
La start-up Alien Limited propose de recycler ces mollusques envahissants. «Grâce à un procédé écologique sans déchets, nous transformons les coquilles en calcaire et la chair en biogaz», explique Carole Fonty, fondatrice de la société vaudoise. Son objectif est de limiter la prolifération de cette espèce invasive. Elle qui rêvait de protéger les océans, la voilà en train de prendre soin de l’écosystème lacustre. «Plutôt que de les incinérer – ce qui produirait du CO₂ , l’objectif est de valoriser ces moules en circuit court.» Un procédé qui séduit aussi bien les cimentiers en quête de béton durable que le monde agricole.
 

Découverte en 2015 dans le Léman et en 2017 dans le lac de Neuchâtel, la moule quagga est considérée comme l’espèce envahissante la plus agressive de l’hémisphère Nord. (photo Guillaume Cunillera/Plateforme LéXPLORE)

 

Le saviez-vous?


Cette moule tire son nom d’une sous-espèce de zèbre aujourd’hui éteinte, le quagga. En effet, pour les deux spécimens, leurs rayures zébrées s’estompent au niveau de la face ventrale.

 

 

 

Un projet en phase de test
Si la solution n’est pas encore déployée à grande échelle, plusieurs tests ont été menés avec des partenaires académiques comme la Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud ainsi que l’EPFL, et industriels comme les Services industriels de Lausanne (SiL) et Holcim. Le projet bénéficie également de soutiens cantonaux et fédéraux. «Les premiers essais sont concluants. L’enjeu est maintenant de passer à une application à grande échelle», conclut Carole Fonty.

 
Face à une invasion irréversible, l’heure n’est plus à l’éradication, mais à l’adaptation. Transformer une menace en ressource, voilà peut-être la clé d’un avenir plus durable.

 

Un brevet bientôt déposé

Carole Fonty prévoit de récolter plusieurs milliers de tonnes de moules quagga d’ici à 2045, en adoptant une collecte respectueuse de l’écosystème, sans draguer le fond du lac. Des partenariats sont en cours avec les pêcheurs, les autorités locales et les entreprises du secteur. La start-up Alien Limited garde la confidentialité sur le processus de transformation avant le dépôt du brevet. Actuellement, les moules collectées pour tester l’industrialisation proviennent des filets des pêcheurs. Des discussions sont actuellement menées avec les communes pour récolter les espèces des rives, et avec les entreprises spécialisées pour celles provenant des conduites lacustres.